Trois des plus importantes villes du Maroc ont désormais une femme à leur tête, et c'est une première historique. De surcroît des femmes modernes. Asmaa Rhlalou (photo de gauche) a été élue à Rabat, non sans soubresauts. Nabila Rmili (photo du centre) a été désignée présidente de Casablanca, capitale économique du Royaume. Marrakech a retrouvé Fatima Zahra Mansouri (à droite), à un poste qu'elle avait déjà occupé. Les deux premières portent les couleurs du libéral RNI (Rassemblement national des indépendants, parti de la colombe) d'Aziz Akhannouch. La troisième est membre du PAM (Parti Authenticité et modernité, ayant le tracteur pour logo). Ces deux partis forment avec l'Istiqlal la majorité gouvernementale à la suite des élections de septembre dernier, qui ont vu l'écroulement du parti islamiste PJD, lequel perd ces trois villes, et bien d'autres, ce qui démontre toute l'étendue du rejet par le peuple marocain dont les islamistes sont l'objet.
A Rabat, dans un premier temps, Asmaa Rhlalou, 52 ans (notre photo-montage), a été victime de défections au sein de la coalition gouvernementale. Son élection a dû être renvoyée au 24 septembre. Ce jour-là, il n'y a pas eu photo : cette ancienne journaliste a recueilli 58 voix, contre huit pour Badia Bennani (PJD) et sept pour Driss Lachgar (USFP). C'est la première fois qu'une femme est portée à la tête de la capitale marocaine. Asmaa Rhlalou a dès lors qualifié son élection d’"historique".
Les habitants de Rabat ont souffert dans leur vie quotidienne
Un parcours atypique l'a menée à cette haute fonction. Dès 1997, elle a exercé le métier de journaliste auprès du quotidien "L'Opinion". Sept ans plus tard, la nouvelle présidente obtenait un doctorat en économie à l’Université de Perpignan (France). Militant d'abord au sein du Parti de l’Istiqlal (PI), elle rejoint les libéraux du RNI en 2015. L'année suivante, elle devient députée à la Chambre des représentants, sur la liste nationale réservée aux femmes.
Elle ne s'est pas représentée à cette fonction, parce qu'elle a pris conscience, dit-elle, combien les habitants de Rabat ont souffert dans leur vie quotidienne sous l'administration du PJD, en particulier les femmes et les jeunes. Elle entend donc mettre l'accent sur la bonne gestion de la capitale, tant du point de vue économique que social, et améliorer les revenus de Rabat, pour financer son statut de ville lumière. Présidente de l'association Aswar pour le développement durable, elle est sensible à la question climatique. Asmaa Rhlalou a la réputation d'être déterminée, systématique. Elle fonctionne sur la base d'une solide dose de persévérance.
Son mari a été élu premier vice-président du Conseil régional de Rabat-Salé-Kenitra. Avocat, Saâd Benmbarek a aussitôt été accusé d'avoir reçu un mandat du nouvel exécutif de Rabat dirigé par sa femme. Mais le couple a démenti la réalité de ces accusations. Selon lui, l'avocat défend son épouse et ses collègues du RNI sur la base d'un mandat privé, pour les défendre contre la plainte déposée par le PJD. Les islamistes modérés, qui n'ont pas digéré avoir été abandonnés par l'électorat, ont vu leur recours être rejeté.
Une femme médecin dirige Casablanca
Grande première aussi à Casablanca ! La mégapole marocaine de trois millions et demi d'habitants a aussi élu une femme pour la diriger. Nabila Rmili, 47 ans, appartient au triomphant RNI d'Aziz Akhannouch (notre photo-montage). S'appuyant également sur la société civile, elle est renommée pour être une fédératrice. Titulaire d’un doctorat en médecine générale de la faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca, la nouvelle présidente a effectué sa carrière professionnelle au sein d'organismes publics de sa région natale. Juste avant son élection, elle occupait la fonction de directrice régionale de la santé de Casablanca-Settat et a, dans ce cadre, bien géré la pandémie de Covid-19.
Nommée ministre de la santé du gouvernement Akhannouch par le roi Mohammed VI, elle s'est rapidement rendue compte qu'elle ne pouvait pas mener de front deux fonctions aussi mangeuses de temps, ne disposant pas de l'expérience de la délégation de fonctions du chef du gouvernement, également maire d'Agadir. Elle a donc démissionné de son poste gouvernemental. Aziz Akhannouch a loué à cette occasion son "sens des responsabilités" et la nécessité, comme à Rabat, de développer les services publics et parer aux dysfonctionnements découlant de la gestion du PJD, en optimisant les revenus de la métropole.
A l'instar de sa consœur de Rabat, Nabila Rmili a été attaquée via son mari. Fiscaliste et urbaniste, également élu sur la liste du RNI, il a été élu 3e vice-président de Casablanca. Mais, face au grief de népotisme, la ville devra se priver de ses compétences : Taoufik Kamil a été contraint de démissionner.
Marrakech : la revanche
La ville de Marrakech, elle, récupère Fatima Zahra Mansouri, qui fut une première fois maire de la ville entre 2009 et 2015. Battue par le PJD il y a cinq ans, cette avocate de 45 ans a pris une éclatante revanche (notre photo montage) sur les islamistes accusés, comme un peu partout, de corruption, de crise budgétaire et de projets malmenés. Le maire déchu, Mohamed Larbi Belcaïd, et son numéro deux doivent répondre devant la justice d'irrégularités liées aux marchés de la COP22.
Fatima Zahra Mansouri porte les couleurs du Parti authenticité et modernité (PAM). C'est une proche d'Abdellatif Ouahbi, patron du parti du Tracteur, nouveau maire de Taroudant et ministre de la Justice. Une femme populaire qui compte au sein du PAM. Assumant la présidence du législatif du parti, elle a été désigné ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville. Fille d'un ancien pacha de la ville ocre, descendante d'un des principaux appuis du fameux Thami El Glaoui, Marrakchie par toutes les fibres de son être, Fatima Zahra Mansouri est bardée de diplômes : licence marocaine de droit privé, DEA français de droit des affaires, diplôme de droit américain des affaires.
Elle a été élue royalement, obtenant 79 voix sur 80. Un seul conseiller (socialiste) s'est abstenu. L'explication de ce score canon tient dans l'association de tous les principaux partis aux affaires de la ville. La nouvelle présidente a promis un plan de relance de Marrakech, extrêmement fragilisée par la pandémie de COVID.
L'arbre qui cache la forêt
La spectaculaire élection de trois femmes à la tête des plus importantes villes du Maroc a été vue comme une victoire féministe. On a aussi pu se réjouir de l'élection de 96 femmes au Parlement, ce qui représente un record.
Si ces résultats sont à première vue positifs, ils sont aussi l'arbre qui cache la forêt. Les 96 parlementaires femmes ne représentent que moins de 25 % des élus. Pire, 90 d'entre elles ont été désignées via le dispositif de discrimination positive que sont les listes nationales et seules six l'ont été sur des listes régionales ouvertes à une vive concurrence avec les hommes.
Pour l'Observatoire marocain de la participation politique, ces chiffres doivent être considérés comme une "sonnette d'alarme" illustrant le manque de démocratie interne dans les partis.
Selon la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (HACA), les femmes n'ont représenté que 19% des intervenants à la télévision et à la radio durant la campagne électorale, ce qui démontre la faible place réelle qu’elles occupent au sein des organes dirigeants des partis politiques.
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